La quatrième soirée du Festival Jazz Campus en Clunisois 2024 investit de nouveau la scène du Théâtre Les Arts. Au programme de la soirée, le quartet d’Adèle Viret puis « Les Jours rallongent ». Les atmosphères contrastées et les propos singuliers proposés par les deux groupes interpellent et ravissent l’auditoire.La quatrième soirée du Festival Jazz Campus en Clunisois 2024 investit de nouveau la scène du Théâtre Les Arts. Au programme de la soirée, le quartet d’Adèle Viret puis « Les Jours rallongent ». Les atmosphères contrastées et les propos singuliers proposés par les deux groupes interpellent et ravissent l’auditoire.
A Vaulx Jazz-Soirée Future Sax – Steve Coleman
Steve Coleman continue à inventer le jazz
La venue de Steve Coleman pour la seconde partie de la soirée du 23 mars 2017 constitue un évènement majeur. Le retour du saxophoniste alto avec son trio Reflex mobilise les amateurs de jazz de toutes générations. Le concert comble voire dépasse les attentes des spectateurs qui repartent convaincus que le jazz a un avenir.
Depuis quatre décennies Steve Coleman poursuit sa quête et refuse les étiquettes. Il est pourtant le cofondateur, au milieu des années 80, du mouvement M-BASE. Imprégné de philosophie il s’est aussi penché avec attention sur l’harmonie et les cycles rythmiques. Il a su intégrer le funk et le hip-hop à son vocabulaire musical et manifeste beaucoup d’intérêt pour les musiques et les cultures de Cuba, de l’Inde, du Ghana, de l’Égypte et plus récemment du Brésil.
Né en 1956, ce saxophoniste altiste est aujourd’hui considéré comme un de ceux qui a influencé la conception musicale des nombreux jazzmen venus après lui. Dans le même sens, il aime lui aussi faire référence aux anciens musiciens qui ont contribué à forger les bases de son univers. Charlie Parker, Sonny Stitt, Von Freeman mais aussi Sam Rivers, Thad Jones, Bunky Green sans oublier bien sûr Sonny Rollins et John Coltrane. Il dit avoir construit sa conception du jazz à partir de l’écoute de toutes ces figures légendaires du jazz et affirme que « le jazz est un continuum ».
C’est la troisième fois que Steve Coleman tourne en trio qu’il nomme d’ailleurs toujours « Reflex ». En 1993 il avait à ses côtés Reggie Washington et Gene Lake puis a retrouvé Marcus Gilmore et David Virelles en 2011. En 2017 il vient avec deux complices de longue date, ce qui facilite les interactions et la compréhension mutuelle. Il s’agit du bassiste Anthony Tidd et du batteur Sean Rickman.
Tel un architecte, Steve Coleman construit un set équilibré et solide. La musique prend forme, se transforme, se déforme, se bâtit au fur et à mesure des séquences qui se succèdent au gré de l’inspiration des musiciens et ils n’en manquent pas. Le concert se déroule dans la pénombre. Cette ambiance propice à la concentration participe sans doute du recueillement quasi mystique qui plane au-dessus du public. Très concentré, le saxophoniste semble ancré dans la musique comme un roc inaltérable autour duquel il élabore une musique instantanée qui comble d’aise les spectateurs unis dans une écoute attentive.
Le saxophoniste alto chante en continu sans effort au-dessus de la trame polyrythmique riche nourrie par un batteur hyper réactif et un bassiste très libre. Le leader décroche du micro et le discours du bassiste démarre poussé par le chant hors-micro de l’altiste et les mille nuances de la batterie. Quand Coleman revient, son souffle serein et inlassable émet des lignes réitératives auxquelles se mêlent des mélodies aiguës qui semblent venues d’un autre saxophone. Un double discours, comme un croisement de temporalité. La maîtrise technique absolue du musicien lui permet de libérer son discours de toute contrainte, de prendre tous les risques, de se dépasser et de créer dans l’instant une musique unique et toujours innovante.
Que cette musique porte le nom de jazz ou comme le dit Steve Coleman, « un tout cohérent avec l’univers », elle met d’accord les musiciens, les mélomanes, les néophytes et tous ceux qui écoutent avec attention et sans idées préconçues.
Après de sublimes moments où le calme règne sur scène, les musiciens convoquent une fusion assez étonnante entre saxophone et batterie. La trame se densifie et la tension monte d’un ton. Le saxophoniste sculpte la matière sonore. Un solo de batterie phénoménal relance les échanges entre le bassiste et le saxophoniste qui interrogent la musique et interagissent sans répit. Des geysers jaillissent du saxophone alors que le bassiste et le batteur segmentent le rythme. Steve Coleman fait même un clin d’oeil au be-bop et à Charlie Parker.
Après la lave, le saxophoniste souffle le zéphyr sur un tempo très lent qui permet à la basse de tracer une ligne mélodique et de faire résonner les harmoniques de son instrument avant que survienne un nouveau paroxysme et que le rythme s’accélère. En rappel le concert se termine par un cadeau inattendu… ‘Round Midnight, comme un salut du saxophoniste à Thelonious Monk, un des plus grands compositeurs du jazz.
Le grand ordonnateur Steve Coleman a distribué les cartes, les musiciens ont joué et gagné la partie avec brio. Du début à la fin du set, la mise en place est parfaite, la suite musicale se déroule avec une fluidité étonnante et bannit tout excès démonstratif. Le public est comblé et manifeste avec chaleur son admiration et son respect.
Maître incontestable de l’improvisation et de la composition spontanée Steve Coleman a comblé le public du festival A Vaulx Jazz. Il a offert un voyage musical construit à partir des fondations du jazz et de son inspiration intérieure. Il a démontré si tant est que cela soit encore à prouver, que cette musique possède un avenir. Il reste aux musiciens à l’investir, aux public à s’en saisir et aux producteurs et programmateurs à le mettre en valeur.
Jazz Campus en Clunisois 2024 – Adèle Viret 4tet & Les jours rallongent
Jazz Campus en Clunisois 2024 – Hirsute
Pour la troisième soirée du Festival Jazz Campus en Clunisois 2024 le public retrouve le chemin du Théâtre les Arts. Au programme, le projet Hirsute proposé par la pianiste et compositrice et cheffe d’orchestre Anne Quillier. Un moment intense et libre. Véritable concentré d’énergie, la musique acoustique à l’écriture ébouriffée génère un univers farouche.
Jazz Campus en Clunisois 2024 – François Couturier solo
Au-delà des conventions La deuxième soirée du Festival Jazz Campus en Clunisois 2024 investit de nouveau la scène du Farinier de l’Abbaye. Au programme, un concert solo de François Couturier. Le public se mobilise pour écouter cet artiste dont l’art croise...

Les morceaux s’enchaînent entrecoupés de pauses bienvenues qui permettent aux musiciens d’opérer les changements de pulsation. Des moments de répit comme des prétextes pour mieux changer le rythme qui de tellurique devient obsédant ou quasiment enflammé par la contrebasse qui anime un pseudo cérémonial vaudou.
De bout en bout du concert, Shabaka Hutchings manifeste une grande écoute vis à vis des autres musiciens dont il capte les ondes pour mieux leur renvoyer. Le discours du saxophoniste ténor est totalement maîtrisé. De son jeu se dégage un magnétisme quasi mystique qui abreuve une prière musicale nourrie de spiritualité et d’énergie. S’il se lamente avec lyrisme il sait aussi libérer avec spontanéité des fulgurances et des flots de notes mais sans exubérance. De l’épaisseur sonore surgit même parfois un chant aux allures de gospel ensauvagé.

Effectivement sur scène on constate la disparition du piano acoustique remplacé par des claviers. En effet, dans la version quartet du projet, Avishai Cohen dirige sa nouvelle formation entre Fender Rhodes, basse Fender, contrebasse, sans oublier les micros qui portent son chant. Certes le musicien est familier des claviers qu’il utilise pour écrire ses musiques mais sans doute escompte-t-il ainsi teinter son répertoire d’un son plus tendance.
Au Fender, Avishai Cohen débute le set par un chant traditionnel de shabbat puis enchaîne par deux titre de son ancien album « Aurora » (2009) dont le superbe Leolam puis Winter Song qu’il ouvre à la basse Fender. Puis le répertoire déroule des chansons qui regardent du côté de la pop sans omettre un blues écrit par le leader pour sa femme mais qu’il dédie à toutes les femmes présentes. Le substrat blues est plutôt light et les paroles quasi indigentes… doo doo doo.
Un chant yéménite ramène le répertoire du côté des musiques traditionnelles et les musiciens unissent leurs talents pour célébrer une musique empreinte de profondeur et de véracité. Un morceau quasi instrumental enflamme la scène et la contrebasse poussée par la percussion donne toute la mesure de sa profondeur.
De bout en bout du set on est impressionné par la prestation éblouissante du percussionniste Itamar Doari. Il assure une assise rythmique solide avec une simplicité et une efficacité remarquables. Les accompagnements du violoncelle sont par contre insuffisamment mis en valeur, comme noyés dans la masse sonore et l’on ne peut donc en savourer la finesse. Tous les musiciens unissent leurs voix au chant du leader qui prend un visible plaisir à l’exercice vocal.
Au début la formation a accueilli trompettiste et pianiste puis a adopté la forme actuelle avec deux saxophonistes (dont l’un est aussi clarinettiste), un contrebassiste et un batteur, Après le départ du regretté Maurice Merle en 2003 et l’arrivée de Jean Aussanaire, le Workshop de Lyon a continué sa route musicale et fête en 2017 son « mi-centenaire » (dixit Cristian Rollet). A cette occasion est d’ailleurs publiée une intégrale du Workshop de Lyon.
Sur scène se présentent en demi-cercle élargi Jean Aussanaire (saxophones alto/soprano), Jean-Paul Autin (saxophones alto/sopranino, clarinette basse), Jean Bolcato (contrebasse, voix), Christian Rollet (batterie, percussions). Dans une perspective d’ouverture, le groupe accueille le trompettiste Jean-Luc Cappozzo ancien complice du groupe. En maître de cérémonie, Christian Rollet présente le contexte de la soirée et précise que le répertoire compte une quinzaine de titres représentatifs de la vie musicale du Workshop de Lyon.
Le set ouvre avec le lyrisme et les belles couleurs de la composition de Jean Bolcato, Sophisticato. Suivent deux morceaux de Maurice Merle, l’un lumineux et enlevé et le second plus recueilli où clarinette basse et alto entament une musique qui évoque un requiem. Les trilles effrénés et ricanants de l’alto libèrent chez les autres instrumentistes la débauche de grognements, bruitages, grondements, caquètements et borborygmes, bref l’abécédaire habituel du Workshop. Après une invitation au silence les musiciens se réunissent pour élever un chant puissant et conduisent la musique sur une route moins chaotique.
Suivent d’autres compositions de Jean Bolcato dont Marcello, de Jean-Paul Autin, sans oublier La mob. à Momo de Jean Aussanaire avec un clin d’oeil à Maurice Merle. Pour le rappel le groupe interprète Anniversaire… on n’en attendait pas moins. Workshop de Lyon, le groupe porte vraiment bien son nom, un perpétuel atelier qui tisse et retisse des liens entre hier et aujourd’hui pour renouveler son patrimoine musical. On se questionne pourtant sur la présence des partitions pour de tels musiciens rompus à leur répertoire et à l’impro. Sans doute pour tracer les nouveaux arrangements.
Dans cette soirée du 17 mars 2017 il devient instrument de lutte et tente de mobiliser contre l’indifférence, sensibiliser aux injustices, mettre en garde et engager au combat. En effet, A Vaulx Jazz donne la parole à deux musiciens issus de cultures différentes. Naissam Jalal-Marc Ribot. Deux musiques quasiment aux antipodes.
rythmique soutient l’expression remarquable des solistes.
contre les violences policières.
Le second set revient à Marc Ribot et son projet Ceramic Dog. A ses côtés, Shahzad Ismally à la guitare, basse, percussions et Moog et le batteur Ches Smith. Si le nombre de musiciens diminue, l’intensité sonore augmente. L’ambiance se profile comme enragée voire nucléaire. Le guitariste présente un brûlot enflammé contre le capitalisme et le consumérisme crié sur une musique libérée de toute frontière. Une esthétique vigoureuse qui hésite entre rock post punk et jazz avant-gardiste underground.
Le groupe se présente comme un triangle à géométrie mouvante. Deux guitares, une batterie et trois voix. Une voix, une guitare, une basse et des percussions. Deux voix, deux batteries, une guitare. Le guitariste virtuose sait tout faire et ne bride à aucun moment l’expression de son orchestre qui apparaît comme une extension de lui-même. Si la musique affiche la rage et la violence, elle n’en est pas moins construite avec une précision surprenante. Le guitariste pilote la machine à musique et les morceaux se succèdent sans interruption sous sa férule attentive.
Marc Ribot n’est pas content et il le fait savoir. Il se partage entre guitare et voix pour exprimer sa rage contre la société de consommation et ses dérives dont le téléchargement illégal des musiques. Il dénonce les méfaits du capitalisme qui abandonne ses enfants et perpétue la ségrégation à tous les niveaux de la société. Sur des rythmes effrénés, les improvisations de la guitare crient la désespérance et la colère. Sa voix hurle la révolte et appelle à la résistance et au combat.
l’enthousiasme des spectateurs. Le groupe présente le répertoire de son nouvel album ce qui explique sans doute le manque de délire et de spontanéité de la prestation très réglée.
Véritable institution de la Nouvelle-Orléans, le Dirty Dozen Brass Band (DDBB) fête sur les routes du monde le quarantième anniversaire de sa création avec à sa tête ses deux membres fondateurs le trompettiste Gregory Davis et le saxophoniste baryton Roger Lewis.
Attaché au courant des musiques populaires le DDBB renouvelle les fondations de la tradition mais colle à la réalité de la musique d’aujourd’hui. Avec simplicité et cordialité le groupe invite le Zozophonic Orchestra qu’il entraîne dans son délire furieux. Le plaisir de Sylvain Felix et de Jean Crozat est palpable lorsqu’ils mêlent leurs souffles à ceux des cuivres du Dirty Dozen Brass Band. Peut-être le charisme des américains sera-t-il une source d’inspiration pour « Manouche » plutôt en retrait face à ces bêtes de scène.
Face au public tous les musiciens exultent. Sous des dehors plutôt calmes, Kevin Harris joint son chant et celui de son saxophone ténor à la liesse. Au sousaphone, Kirk Joseph assure les basses avec une vigueur impressionnante.
Dommage que le son de cet instrument ait été quelque peu amputé de toutes ses harmoniques que l’on ne percevait que devant la scène en son direct. Malgré son frêle gabarit le guitariste Takeshi Shimmura fait merveille aux côtés de Julian Addison, batteur charismatique et infatigable.