Voix singulières et contrastées
La quatrième soirée du Festival Jazz Campus en Clunisois 2024 investit de nouveau la scène du Théâtre Les Arts. Au programme de la soirée, le quartet d’Adèle Viret puis « Les Jours rallongent ». Les atmosphères contrastées et les propos singuliers proposés par les deux groupes interpellent et ravissent l’auditoire.
Le 20 août 2024, le public se presse dans la salle du Théâtre les Arts de Cluny. Didier Levallet évoque avec une certaine émotion la présence d’Adèle Viret, ancienne stagiaire de Jazz Campus en Clunisois, venue à la tête de son quartet sans oublier d’annoncer la deuxième partie de soirée et le projet « Les jours rallongent ».
La venue du Adèle Viret 4tet s’inscrit dans le cadre de Jazz Migration. Autour de la violoncelliste sont réunis, Oscar Viret (trompette), Wajdi Riahi (piano) et Pierre Hurty (batterie). Le quartet « sans basse » d’Adèle Viret dispense une musique épurée, légère et onirique, lyrique et douce. Il s’en dégage une atmosphère chambriste aux atmosphères intimistes et minimalistes où se bousculent jeux rythmiques pulsatils et improvisations orageuses énergiques ou souples et aériennes.
Le concert débute. Notes dépouillées du piano, cordes du violoncelle frottées par l’archet, note soufflée par la trompette. Le violoncelle esquisse une mélodie évanescente en harmonie avec la trompette floconneuse. Les balais de la batterie tapissent le fond sonore de friselis. S’installe alors une atmosphère proche de la musique baroque avant que le groupe ne conduise la musique vers un climat aux accents orientaux. Après les douceurs du début, l’ambiance se fait plus tonique avec un chorus enflammé du pianiste et un solo incandescent de la trompette.
Après Novembre et Choral for the sea, les deux premiers morceaux, Adèle Viret dit son émotion de se retrouver à Cluny et ce à plusieurs titres. Elle évoque une histoire de famille. D’une part avec son père (Jean-Philippe Viret) qui était venu à Cluny lorsqu’il était jeune musicien, après avoir consulté un flyer qui évoquait le festival et avait été accueilli comme stagiaire par Didier Levallet. D’autre part, elle se souvient de ses workshops de Vincent Courtois et aussi d’avoir écouté le regretté Denis Badault dont un disque inédit vient de sortir.
Elle annonce qu’elle propose un projet musical « Autour de l’eau » et le concert reprend avec Close of The Water, qui oscille entre retenue et explosion sonores.
Adèle Viret reprend la parole et précise qu’un album du quartet intitulé « Close of The Water » va sortir à l’automne.
Le set se termine avec les couleurs chatoyantes et apaisantes du titre Horizon. Débuté très lentement le morceau évolue, l’énergie monte après un chorus véhément et véloce du piano très percussif. Une grande symbiose semble régner au sein du quartet. Adèle Viret explore tous les registres de son instrument (archet, pizzicato).
Sollicité chaleureusement par les applaudissements du public, le quartet revient et interprète en rappel, Pour ceux qui sont loin, une ballade en forme de rêverie.
La seconde partie de soirée est assurée par le trio constitué de Christiane Bopp (trombone, voix), Sophia Domancich (piano) et Denis Charolles (batterie) pour leur projet « Les jours rallongent ».
Le set débute avec une composition de Denis Charolles, A la maison. Après l’introduction, la tromboniste prend un solo puis la pianiste se lance dans un dialogue intense avec le batteur. Autre composition du batteur, Wasabi évoque le Japon. Début martial piano/batterie alors que la tromboniste souffle dans l’embouchure de son instrument. Elle entame ensuite la mélodie de sa sonorité grave et large puis insère une sourdine dans le pavillon de l’instrument et joue sur les délicates interventions du batteur alors que la pianiste improvise avec une grande liberté.
Avec un couvercle de cuisine tenu sur le pavillon de son instrument, la tromboniste ouvre le troisième morceau qui débute sur un rythme lent. Le batteur souffle dans une trompette posée sur la caisse claire puis frotte les cymbales avec un archet, on se croirait dans une basse-cour. Puis sur les arpèges percussifs de la pianiste, le batteur frappe ses cloches et les autres percussions de ses mailloches et installe alors un climat étrange et malaisant. Le trombone résonne comme un cor de chasse à courre, l’improvisation de la pianiste évoque le galop des chevaux. Un dialogue tonique s’instaure entre la tromboniste qui frappe l’extérieur du pavillon tout en jouant et vociférant dans l’embouchure et le batteur qui frappe les peaux de ses toms avec les mains. Ambiance surprenante et enthousiasmante à la fois.
Le trio interprète présente ensuite une composition de Sophia Domancich au climat interrogatif. Le trombone et la batterie fantasque transportent l’auditoire dans les alpages suisses. Le batteur dialogue ensuite avec la pianiste qui se livre à une introspection musicale et improvise avec effervescence. Sur le piano les notes voltigent, caracolent, se bousculent et font résonner des échos monkiens avant que ne revienne la plénitude avec une ligne musicale apaisante que dessine le trombone.
Promenade sonore comme une complainte déchirée, le dernier morceau débute rubato, la tromboniste vocalise dans son instrument, les notes dissonantes du piano semblent étirées puis contractées, le batteur se déchaîne. Le public acclame avec vigueur la prestation originale du trio qui revient pour un rappel énergique dont les riffs saccadés font vibrer les cintres de la scène.
Surpris et bienveillant, le public quitte la salle visiblement enchanté par les contrastes musicaux de cette soirée singulière.
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