Le concert solaire de Camille Bertault à Ecully

Le concert solaire de Camille Bertault à Ecully

Loin de tous les codes, un chant passionné

Le 12 avril 2019 marque la première venue de la chanteuse Camille Bertault sur une scène de la métropole lyonnaise. Elle présente son projet « Pas de Géant » au Centre Culturel d’Ecully. Au regard du succès hexagonal et international de l’artiste, l’évènement est de taille, pourtant point de rush du public. Conquis par une artiste passionnée qui ne manque pas d’air et se joue de tous les codes, les spectateurs présents se sont loués d’être venus et sont repartis enchantés.

On ne cesse au fil des ans de se questionner quant à la volatilité du public de jazz à Lyon (d’ailleurs, on se demande s’il existe vraiment) et à son suivisme peu raisonné qui les entraîne vers ce qui est déjà vu, connu et porté par la vague. Souvent mobilisés par des artistes surexposés qui font le buzz, les amateurs de jazz ont pourtant la mémoire courte car ils ont vite oublié le flot d’intérêt fort justifié qu’ont provoqué en 2015 les exploits de Camille Bertault partagés sur les réseaux sociaux lorsqu’elle reprenait le chorus de John Coltrane sur Giant Steps et enthousiasmait par ses scats ébouriffants.

Une affluence relative au premier concert de Camille Bertault dans la région lyonnaise est sans doute à relier avec le début des congés scolaires mais cela procède peut-être aussi d’un réel manque de curiosité. A moins que cela ne témoigne d’une faible inclinaison du public à quitter les scènes en vue, les sentiers fléchés et des routes balisées du jazz or ce sont sur ces terrains non formatés que la chanteuse Camille Bertault et son quartet s’aventurent  avec brio.

Camille Bertault à Ecully

Camille Bertault Quartet à Ecully le 12 avril 2019Le 12 avril 2019 sur la scène du Centre Culturel d’Ecully, la chanteuse Camille Bertault est entourée d’un trio qui réagit à la moindre de ses incartades vocales. En effet, le pianiste Fady Farah, le contrebassiste Christophe Minck et le batteur Donald Kontomanou pratiquent un accompagnement sur-mesure qu’on pourrait même qualifier d’accompagnement haute-couture.

Les trois musiciens pratiquent une écoute et une réactivité de chaque instant lesquelles alliées à leur virtuosité et leur sens aigu du tempo leur permettent de suivre les déambulations acrobates de la chanteuse. Cette dernière leur accorde un très large espace d’expression tout au long du set ce qui permet au public de prendre la mesure de leurs talents. Le pianiste virtuose et lyrique diversifie les nuances de son jeu au fil des morceaux. Le contrebassiste (et bassiste électrique sur un titre) assure un soutien solide que renforce le tempo infaillible d’un batteur rôdé à toutes les rythmiques.

Le répertoire

En une heure, le quartet enchaîne onze titres et un rappel. Un répertoire éclectique qui mêle avec bonheur et fantaisie chanson française, reprises de jazz et compositions de la chanteuse. Avec humour Camille Bertault présente chaque titre et permet ainsi au public de saisir la multiplicité de ses inspirations. Solaire elle s’investit dans sa musique qu’elle habite avec conviction et conserve ce brin de spontanéité qui rend les artistes si humains.

La chanteuse Camille Bertault à Ecully, photo de Didier MartinezAprès Nouvelle York, Camille Bertault interprète un medley en référence aux compositeurs qui l’ont inspirée. Goldberg-Arbre Ravéologique-Satièsque, un exercice périlleux qui mêle scats vertigineux et textes inspirés. Suit une révérence à Georges Brassens avec une version coquine de Je me suis fait tout petit puis le quartet propose sa version de Comment te dire adieu, qui a valu le succès à Françoise Hardy dans les années 60. L’interprétation de la Camille Bertault met autant en valeur la partie musicale de Goland que les paroles de Gainsbourg avec des parenthèses parler-chanter tout à fait dans l’esprit de l’auteur. Après Certes qui évoque les grandes vérités de la vue ordinaire, vient le moment désaltérant et enivrant du concert.

Le trio et la chanteuse entament une version peu conventionnelle du fameux Je Bois. La composition d’Alain Goraguer inspire à la chanteuse une explosion vocale susceptible de faire éclater le cristal des verres préalablement vidés. Quant aux paroles de Boris Vian, elles suscitent chez Camille Bertault une chorégraphie élégante qui la voit déambuler et tituber sur scène. Le public enivré par sa prestation l’accompagne d’une totale empathie lorsqu’elle tombe à terre et retient même ses applaudissements comme sidéré par sa chute. « Une première » confesse la chanteuse habituée à se relever plus vite, car en général la chute et l’arrêt de la musique donnent le signal des vivats… mais à Ecully, le public reste coi devant cette simulation réaliste de l’ivresse. Un p’tit verre n’aurait d’ailleurs pas été de refus pour trinquer avec elle !

La chanteuse Camille Bertault à Ecully, photo de Didier MartinezCamille Bertault a posé des paroles en Portugais sur House of Jade de Wayne Shorter dont le titre devient Casa de Jade. Elle rend ainsi hommage au compositeur et au Brésil. Accompagnée par le batteur devenu percussionniste délicat, la voix souple et caressante esquisse un climat éthéré. Seule au piano, la chanteuse enchaîne avec Tantôt qui évoque toutes les personnalités susceptibles d’habiter tout un chacun. Une délicieuse escapade comme un clin d’œil espiègle de la chanteuse aux différents états d’âme qui peuvent l’assaillir.

Par ses paroles, Entre les deux immeubles convoque le phénomène de la création à partir de la vue que perçoit la chanteuse assise au quinzième étage derrière le clavier de son piano. Affres fascinantes de l’inspiration que dessinent les quatre artistes, entre nuages obscurs et soleil inspirant. Sur Winter in Aspremont le piano lyrique et très expressif dialogue avec la voix dans un chorus sensible où il enjambe les intervalles et les caresse. La voix lui répond, glisse, se rattrape, remonte et se suspend entre les portées où elle étire le fil d’une intense mélancolie. Un superbe moment d’émotion que cette berceuse écrite par la chanteuse pour les adolescents.

Pour terminer le concert, le quartet propose sa version de Giant Steps renommé par la chanteuse Là où tu vas. Les paroles qu’elle a écrites retracent les évènements des deux dernières années qui lui ont fait franchir ce fameux « Pas de Géant », titre de son deuxième album et du projet qui tourne depuis deux ans sur les scènes du monde entier. Une interprétation éblouissante et totalement maîtrisée. En rappel, Camille propose une courte version échevelée de Forró brasil que son auteur Hermeto Pascoal ne renierait pas.

La chanteuse s’amuse et se joue des codes

Dire de Camille Bertault qu’elle est chanteuse ne peut suffire à la définir. Certes elle pratique la musique via ses cordes vocales et sa respiration mais surtout la chanteuse joue avec la musique. Non contente de cela, telle une actrice, elle met en scène les textes des chansons qu’elle interprète, avec son visage, son sourire, ses bras et son corps tout entier. Ainsi théâtralisée, la scène devient vraiment son terrain de jeu, dans le sens ludique du terme, car à n’en pas douter, queue de cheval en bataille, la chanteuse muse et s’amuse avec la musique, jubile et prend un plaisir visible à se jouer de tous les codes, au risque de surprendre les tenants d’un jazz conventionnel.

Avec la légèreté d’un papillon la voix de Camille Bertault échappe à la gravitation, s’élève dans les hautes sphères et redescend, se pose puis semblable à une abeille butine les notes dont elle extrait la substantifique sève pour la transformer en des scats fulgurants. Avec aisance, elle change de tempo sans transition, pratique des écarts vertigineux avec une agilité peu commune. Sa diction précise permet de savourer la teneur des textes. Dans son chant se télescopent syncopes, glissandos, murmures, décalages et breaks abrupts.

Avec une grande conviction Camille Bertault a offert à Ecully un concert dont la teneur maîtrisée a convaincu un public venu la découvrir. Solaire et sans esbroufe, la chanteuse très bien accompagnée développe un art qui emprunte sa liberté au jazz mais puise dans la force de la poésie et la fantaisie d’une théâtralité charmante. Loin de tous les formats, Camille Bertault pratique un chant passionné et passionnant.

Un grand merci à Didier Martinez et Jazz-Rhone-Alpes.com pour les clichés de Camille Bertault.
« La Dolce Vita » selon Stefano Di Battista

« La Dolce Vita » selon Stefano Di Battista

Trois ans après « Morricone Stories » dédié à Ennio Morricone, le saxophoniste italien Stefano Di Battista est de retour avec « La Dolce Vita », un nouveau projet ancré dans la culture populaire de son pays. En quintet, il fait résonner sous un nouveau jour douze chansons italiennes emblématiques de l’âge d’or de l’Italie. L’album navigue entre ferveur et nostalgie.

lire plus
« Mères Océans » de Christophe Panzani

« Mères Océans » de Christophe Panzani

Christophe Panzani présente son nouveau projet, « Mères Océans ». Le saxophoniste présente une musique intime où alternent douceur et puissance, acoustique et électronique. Les émotions subtiles sont portées par des mélodies de rêve. Un poème musical intimé dédié à sa mère disparue.

lire plus
Jazz à Vienne 2024 – La programmation

Jazz à Vienne 2024 – La programmation

Pour sa 43ème édition, du 27 juin au 12 juillet 2024 avec une soirée supplémentaire le 16 juillet, le festival, Jazz à Vienne propose 16 jours de concerts. Le célèbre les 20 ans de la disparition de Claude Nougaro, avec « NewʼGaro », une création hommage, en collaboration avec d’autres festivals. Vingt-huit nationalités seront présentes avec un focus européen sur la Suisse et Stracho Temelkovski en artiste associé. Pour plus de la moitié des artistes le Théâtre Antique constituera une première. Une programmation ouverte à tous les publics… à découvrir avec gourmandise.

lire plus
Share This