Robert Lapassade, un Jazz « Body and Soul » plein de « Brio »
Homme de Radio, musicien et journaliste, Robert Lapassade est inscrit depuis longtemps dans le paysage du Jazz Rhône-Alpin. Son humour et son professionnalisme font de lui un personnage authentique, attachant et singulier.
Nous le remercions d’avoir accepté de répondre à quelques questions après un des « points-presse » qu’il anime pour le « festival Jazz à Vienne » depuis de nombreuses années. De ses réponses émerge le portrait sensible d’un amateur de musique groovy.
Nicole Videmann : Avant de commencer, peux-tu nous donner quelques éléments qui précisent ton rapport au jazz ?
Robert Lapassade : Natif de Léopoldville (devenu Brazzaville) au Congo Belge, j’ai vécu dans ce pays juste avant l’Indépendance jusqu’à l’âge de 7 ans. Même si j’en ai des souvenirs très flous, j’y ai emmagasiné des tas de choses. Des ambiances, des odeurs, des façons de vivre, un rythme de vie et les musiques. Tout ceci peut contribuer à expliquer que j’ai toujours aimé la musique qui puise ses racines dans le groove d’une manière générale, qu’il s’agisse d’une musique ethnique traditionnelle ou de la funk soul américaine. Ces premières influences sont sans doute déterminantes car j’aime un type de jazz qui a quelques unes de ses racines du côté de l’Afrique. De fait, ma façon de voir le jazz et de l’apprécier dépendent de ce terme groove. Je suis donc plus africain et afro-américain dans mon appréciation de la musique. C’est à dire que les formes de jazz puisées aux sources de la musique européenne me touchent moins spontanément.
NV : Quel est le premier souvenir qui a marqué ta relation au jazz ?
Robert Lapassade : Mes premiers souvenirs remontent à l’époque de mes 8 ou 9 ans. Ils se situent du côté du blues car le premier disque que j’ai entendu après l’avoir piqué dans la discothèque de mon père c’est l’American Folk Blues Festival un 45 tours avec Willie Dixon, John Lee Hooker, Champion Jack Dupree et T-Bone Walker. Ça a été ma première « grosse baffe ». J’ai surtout focalisé au début sur John Lee Hooker et ensuite j’ai appréhendé le jazz traditionnel de la Nouvelle-Orléans dont mon père était fan. Chez moi à l’époque on écoutait le duo Louis Armstrong-Ella Fitzgerald tous les dimanches matin et cela a imprégné ma façon d’écouter la musique.
Cela rejoint ce que j’ai dit précédemment. J’affectionne les choses positives dans la musique. Évidemment quand quelque chose est profondément sombre et sincère je peux vibrer mais j’aime surtout la joie, le soleil qu’amène la musique. Par exemple, si on prend On the sunny side of the street, c’est un morceau que j’ai apprécié autant par sa musique que par ce que le titre évoque lui-mêm. C’est à dire que pour moi la musique est synonyme de bonheur et de mouvement.
J’ai ensuite acheté mon premier 45 touts à 13 ans et c’était Jimmy Hendricks. Il y a donc comme une continuité. Ainsi mes racines sont donc plus du côté du blues, de la pop et du rock que du côté du jazz que j’ai commencé à apprécier seulement ensuite.
En effet, dans les années 70 s dans le rock j’ai apprécié les artistes qui faisaient des ponts avec la pop musique, des gens comme Miles Davis, Weather Report, ceux du Jazz-Rock mais j’ai aussi été fou d’Ornette Coleman, de Coltrane, de Gato Barbieri (époque « Bolivia ») qui m’a amené vers les musiques du Monde car j’ai beaucoup aimé ce que le jazz a fait des musiques traditionnelles, comme le fit Gato Barbieri.
J’ai aussi un gros souvenir de Roland Kirk, cet ovni qui m’a marqué. Je précise par ailleurs que dans les années 70, j’appréciais aussi les « minets » avec les pulls shetland jaune-citron au-dessus du nombril. On écoutait alors la Soul et les séries « Formidable Rythm & Blues » de cette époque produites par les états sudistes (Georgie, Texas, Louisiane, Alabama) en particulier, Otis Redding, Wilson Pickett était mon idole et James Brown aussi. En fait, en 71, tout était bon.
NV : Quel est ton mode d’écoute préféré pour apprécier le jazz ?
Robert Lapassade : Cela a évolué avec le temps mais aujourd’hui j’écoute finalement plus la musique à travers les vidéos qu’à travers les disques. Il y a une quinzaine d’années lors de l’essor de l’Internet j’ai découvert U Tube et une myriade de documents, d’extraits de concerts, des émissions de télé, des artistes dont on n’avait jamais rien vu en Europe. Cela vaut autant pour le jazz que pour la pop musique dont on avait vu Woodstocks, Tommy (la Comédie musicale des Who). Les premiers films qui sont sortis à propos du rock étaient rarissimes et la distribution était aléatoire. On avait peu d’images et notre imaginaire se construisait à travers les pochettes de disques, les photos, les commentaires intérieurs que l’on dévorait. D’un seul coup à partir des années 2000 je me suis mis à dévorer tous ces clips dont on ne connaissait aucune image et j’ai gardé aujourd’hui ce tic de continuer à apprécier la musique en images, y compris les nouveautés. Je me moque du format. Je suis parti du vinyle au CD et aujourd’hui la musique dématérialisée sur mon ordi me convient même si je regrette la perte de l’objet vinyle et de ses pochettes. Avec la vidéo j’ai la perception du son mais aussi celle de l’image du musicien, de ce que le personnage dégage musicalement. Cela me convient et m’aide à mieux le percevoir. C’est peut-être ce qui explique que j’aime moins la musique électronique où les personnalités s’éclipsent au profit de la musique.
NV : Quelle est dans l’absolu la forme de jazz que tu écoutes avec le plus de plaisir ?
Robert Lapassade : …. Je suis embarrassé pour répondre car je suis éclectique et de plus je m’ennuie vite. En une heure il me faut écouter plusieurs types de musique.
En fait, j’ai beaucoup aimé quand le jazz a essayé de trouver l’esprit de la fusion, comme Miles Davis l’avait fait. Là j’ai retrouvé mon goût pour le groove, les improvisations, les instrumentistes, la compétencs et la créativité des musiciens de jazz. J’ai bien aimé ce jazz là mais je reviens facilement au jazz plus classique. En effet, même s’il se fait aujourd’hui des formes merveilleuses de musiques avec de supers musiciens et de supers enregistrements. je préfère tout de même écouter les modèles originaux, c’est à dire Ornette Coleman qui reste un maître, Miles Davis période cool et aussi par exemple Randy Weston pour le rapport qu’il a eu avec les musiques ethniques.
…. En fait et je le dis rarement mais mon musicien préféré dans le jazz c’est Thelonious Monk car il est à la fois un personnage et une musique et j’adore sa musique. C’est implacable rythmiquement, en quelque sorte, je dirais que ça groove. ….En fait j’aime les allumés dans le jazz, Sun Ra, Pharoah Sanders.
NV : Quel est l’instrument de musique auquel tu es le plus attaché ?
Robert Lapassade : Dans le jazz, c’est le saxophone que je préfère. En fait j’aime la voix humaine, le chant et du coup pour moi, le saxophone s’en rapproche beaucoup et c’est pour cela qu’il est mon instrument préféré. Je préfère le ténor et surtout le baryton et dont les sons graves qui me touchent vraiment.
NV : Quand tu es en pleine forme, quels musiciens, quels styles de musique, disques ou titres écoutes-tu volontiers ?
Robert Lapassade : … Il m’est difficile de répondre car ceci va à l’encontre de ce que je fais. Je ne le réécoute un disque que dix ans après, juste pour le redécouvrir. Bien sûr quand j’étais gamincela je faisais cela, écouter un album jusqu’à l’user mais plus aujourd’hui.
NV : Pour le formuler autrement, quelle musique associerais-tu au terme « bonheur » ?
Robert Lapassade : Sitting on the Dock of the Bay d’Otis Redding, cela me bluffe même 45 ans après, cela re-déclenche des bonnes émotions.
J’aime aussi tous les morceaux de James Brown (jusque dans les années 80), cela me « file la patate » quoi qu’il arrive. Bob Dylan me permet de me poser et de faire un peu d’introspection, j’en suis un fan depuis toujours. Enfin apprécie au dessus-de tout David Crosby, If I could only remermber my name, un album avec un coucher de soleil. La pureté à l’état brut. C’est mon disque de chevet !
Certes tout cela est certes un peu éloigné du jazz mais j’y suis venu après 25 ans voire 30 ans d’écoute de musique rock et soul. En fat le jazz est pour moi significatif de « confort ». Je m’explique, j’aime le côté feutré du jazz. C’est ce que j’écoute quand j’ai envie de me sentir « confortable » mais je ne l’associe pas forcément au « plaisir » et à la « profondeur ».
En fait ce serait plutôt des râgas qui me rendraient le plus heureux et m’apporteraient la sérénité.
NV : Quelle serais ta démarche pour sensibiliser au jazz une de tes connaissances ?
Robert Lapassade : Par facilité je lui ferai écouter un disque jazz manouche qui a pour qualité principale d’apporter la joie de vivre par son swing et ses mélodies. A moins que je ne lui propose de visionner par exemple le film « Latcho drom ». Je lui ferai ensuite écouter les grands saxophonistes en commençant par Coleman Hawkins puis la musique de Duke Ellington et pour finir Thelonlious Monk.
NV : Pour quel musicien serais-tu capable de faire des milliers de kilomètres ?
Robert Lapassade : Cela aurait pu être Prince … en prenant une comète même si, par bonheur j’ai pu le voir trois fois à Paris.
En fait je me déplacerais volontiers pour écouter Charles Lloyd. Pour dire vrai, aujourd’hui quand j’écoute un concert, trois titres suffisent à me combler. Je préfère continuer ensuite à l’apprécier en solitaire chez moi (quand il existe des témoignages de cette musique bien sûr).
NV : Quelle musique de jazz écoutes-tu rarement ?
Robert Lapassade : Le Dixieland et le style New-Orleans, même s’il a été ma première tendresse et si bien sûr j’aime encore la voix de Louis Armstrong mais en dehors de lui ….
NV : Quels sont les trois albums fétiches dont tu ne te séparerais-pas ?
Robert Lapassade : Pour répondre en biaisant un peu, je garderais trois albums de compilations. une compilation de jazz, une compilation de soul-funk et une compilation de rock avec du folk et du rock progressif. Bien sûr je m’occuperais moi-même de faire ces compilations pour être sûr d’y trouver uniquement ce que j’apprécie !
NV : Quels seraient les trois artistes que tu souhaiterais réunir pour une affiche de concert inédite ?
Robert Lapassade : … ce n’est pas simple. Je pense au saxophoniste ténor américain David Murray associé à Félix Wazekwa, chanteur de rumba zaïrois qui s’exprime en lingala et pour finir Selwyn Birchwood (celui qui ouvre la soirée blues de « Jazz à Vienne »)
NV : Quels sont les trois mots qui définissent « ton » jazz ?
Robert Lapassade : Pour moi j’associe le jazz au mot « Brio » et à une dimension qui regrouperait les termes » viscéral » et « spirituel ».
NV : Est-ce que l’expression « Body and Soul » pourrait convenir ?
Robert Lapassade : C’est tout à fait cela. En effet, le jazz que j’aime c’est lorsque le musicien exprime avec toute l’énergie de son corps ce qui habite son âme au plus profond et cela bien sûr, avec brio.
Propos recueillis le 09 juillet 2016 au Festival "Jazz à Vienne"
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