« Jazz 100 », modernité du jazz centenaire

Après 100 ans de vie le jazz se renouvelle encore

Le all-stars réuni autour du pianiste Danilo Perez est au-rendez-vous le 05 février sur la scène de l’Auditorium de Lyon dans le cadre des « Concerts Jazz » organisés en coproduction avec Jazz à Vienne. « Jazz 100 » présente un jazz centenaire renouvelé. Fidèle à l’esprit des créateurs, l’orchestre rajeunit la forme même s’il gomme la flamboyance des origines.

Comme annoncé dans la chronique Le projet « Jazz 100 » fête le Jazz et ses stars nées en 1917 !, « Jazz 100 », c’est le pianiste Danilo Perez et  son trio composé de Ben Street (contrebasse) et Adam Cruz (batterie) auxquels se joignent Avishai Cohen (trompette), Chris Potter (saxophones ténor & soprano,  flûte), Robin McKelle (chant) et Roman Diaz (percussions, chant). Celles et ceux qui s’attendaient à une fête latine ont dû ressentir une relative frustration car la musique présentée était loin de la fièvre insufflée par Dizzy Dillespie et ses comparses à la grande époque où le jazz fusionnait avec les musiques cubaines.

La prestation de « Jazz 100 » a paré d’une modernité étonnante les musiques de Monk, Dizzy, Mongo et Ella. Arrangements soignés, lyrisme tempéré, textures riches et inventives. Certes Danilo Perez a joué avec Dizzy Gillespie entre 1989 et 1992 mais il est aussi le partenaire de Wayne Shorter depuis 2001. Sans doute cette proximité a-t-elle transformé sa perception de la musique. De même les leaders que sont Chris Potter et Avishai Cohen explorent et évoluent dans des idiomes personnels dont la forme diffère de celle du jazz centenaire honoré dans ce projet. Ce différentiel entre la musique originelle et celle des artistes actuels participe sans doute à influencer l’esthétique de la musique de « Jazz 100 ».

Si les arrangements et les interprétations de « Jazz 100 » conservent la structure et l’esprit de la musique des origines, ils la dotent d’une modernité étonnante. Ainsi la prestation offerte ce 05 février par le combo de Danilo Perez prouve combien le jazz est capable de se renouveler sans reproduction. Pas de revivalisme mais un jazz revivifié qui ne demande qu’à se projeter en direction des cents années à venir. Point de retour en arrière malgré un clin d’oeil complice aux créateurs. Un coup de projecteur sur un jazz d’aujourd’hui qui laisse augurer des perspectives évolutives porteuses d’avenir.

Sur Cubano-Be, Cubano Bop de Dizzy Gillespie, le chant du percussionniste Roman Diaz ravive le souvenir que l’on a des interventions vocales dont Dizzy ponctuaient ses morceaux. De la même manière les incantations du percussionniste ouvrent le grand standard écrit par Mongo Santamaria, Afro Blues. Le morceau se poursuit avec un inventif échange percussion/batterie devant les autres musiciens réunis en arc de cercle devant eux. Les hommes des peaux sont ensuite rejoints par l’orchestre tout entier. Le climat enfle, s’épaissit et dessine des textures luxuriantes évocatrices de l’Afrique originelle.

On oublie très vite le chant un brin trop léché et les interventions sans relief que Robin McKelle tente pour honorer la mémoire de la grande Ella Fitzgerald dont les performances font encore référence. Pourtant la chanteuse parvient à capter l’attention lors de son interprétation de la ballade It’s Up to Me and You qu’elle interprète en duo avec Danilo Perez. Le timbre chaleureux de sa voix font oublier le reste de sa prestation appliquée qui aurait gagnée à être plus spontanée.

Au ténor ou au soprano, Chris Potter est égal à lui-même de bout en bout du concert. Sur Off Minor, ses arrangements restituent à merveille les climats, les ruptures de rythme, les dissonances de la musique de Monk. En équilibre entre le bop et le jazz contemporain, Chris Potter excelle et fait monter la tension allant même jusqu’à parer son improvisation d’accents presque rollinsiens. Il rend ainsi un magnifique hommage à la musique de Monk qui porte en elle le ferment éternel d’un jazz moderne et évolutif.

Le moment le plus marquant du concert est sans doute le solo de Danilo Perez qui interprète Round Midnight, un des thèmes les plus connus de Monk. Un moment singulier hors du temps où l’esthétique engendre l’émotion. Le jeu délicat et minimaliste du pianiste s’éloigne sans cesse du thème qui demeure pourtant toujours présent en filigrane. L’artiste cisèle une véritable sonate crépusculaire.

On a aussi apprécié le climat que le groupe a impulsé en rappel sur « Manteca » arrangé par Avishai Cohen. Avec une belle énergie, la section rythmique chauffée à blanc restitue les couleurs cubaines premières du thème de Dizzy Gillespie. Batteur, percussionniste, bassiste et pianiste soutiennent les soufflants. La dernière intervention du trompettiste Avishai Cohen étonne et enthousiasme. On s’étonne encore de la capacité de cet artiste à sortir de son esthétique habituelle. Ses aigus et son sens du rythme impressionnent. 

Avec « Jazz 100 », le jazz centenaire baigne dans un terreau de modernité qui donne un nouvel élan aux standards éternels. Cette musique élaborée honore la mémoire des créateurs que furent Dizzy Gillespie, Thelonious « Sphere » Monk, Ella Fitzgerald et Mongo Santamaria. Moins organique mais plus léchée, elle insuffle un bain de jouvence à ces standards qui ont fondé le jazz et que l’on se plaît à écouter encore et encore. « Jazz 100 » engage à demeurer ouvert à un autre jazz, fils du premier et capable de générer un avenir créatif à cette musique éternelle. Le jazz a encore de beaux jours devant lui.

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