Fureur, refus, résistance et espoir
Avec « Hope », Marc Ribot et ses complices de Ceramic Dog proposent en neuf titres un concentré de ce qui constitue l’ADN musical du groupe. En se promenant dans tous les territoires qu’il affectionne, le power trio propose avec quelques invités un album furieux et poétique qui pourrait incarner le jazz du XXIème siècle.
Constitué du guitariste Marc Ribot, du bassiste/multi instrumentiste Shahzad Ismaily et du batteur Ches Smith, le trio Ceramic Dog a conçu « Hope », un album qui évoque l’étonnante période que le monde a traversé et traverse encore
Ce n’est certes pas avec « Hope » (Enja /Yellow Bird/L’Autre Distribution) à sortir le 25 juin 2021 que l’on va pouvoir inscrire Marc Ribot et ses acolytes de Ceramic Dog dans une catégorie. Nul ne s’en plaindra et d’ailleurs il serait vain de tenter de discriminer si le troisième album du groupe est plutôt jazz que rock, s’il se promène dans les territoires funk ou folk, reggae ou cool. L’essentiel en revanche est bien de dire, voire même de crier haut et fort encore une fois que la musique de Ceramic Dog étonne, interpelle, emballe littéralement car elle porte en elle une vie et un message qu’elle transmet sans filtre.
« Hope », une musique sans complaisance imprégnée de fureur, de résistance et de refus mais surtout, une partition porteuse d’espoir comme le signifie son titre. « Hope », une potion musicale déconfinée comme un remède contre la déprime.
Contexte
Quand mai 2020 est arrivé, Marc Ribot a commencé à trouver qu’être déprimé était déprimant. Il « n’avai[t] pas vu [s]es partenaires depuis février ». Les membres du trio se sont donc retrouvés au studio Figure 8 (le studio de Shahzad Ismaily) pour enregistrer ce qui allait devenir « Hope ». Certes l’album restitue des instantanés de la vie en période de pandémie et reflète les incertitudes de notre époque mais sur chaque morceau est perceptible ce qui relie les membres du trio Ceramic Dog, la passion de jouer ensemble depuis 2008.
Certains des enregistrements précédents de Marc Ribot sont plus immédiatement politiques. Ainsi le dernier disque du guitariste « Songs of Resistance 1942-2018 », paru en 2018 est profilé 100% agitprop, sans culpabilité aucune. Quant à « YRU Still Here? » de Ceramic Dog paru la même année, il comporte l’intense et poignant Muslim Jewish Resistance et le punky Fuck La Migra. Ainsi, pour Ches Smith, « cet album, contrairement au précédent, donne plus l’impression d’un burnout politique ».
L’enregistrement
Dès l’entrée en studio, le groupe a mis en place un lourd protocole sanitaire : se laver les mains, et jouer bien éloignés les uns des autres. Si éloignés qu’ils ne se voyaient même pas pendant l’enregistrement. Ils ont eu à cœur d’éviter que l’état des poumons du bassiste –déjà bien abîmés- n’empire et que cela ne compromette plus encore sa santé. Mais grâce aux compétences techniques du bassiste, ils s’entendaient d’une manière parfaite et presque inédite.
« …quand nous sommes entrés dans le studio, j’ai pensé que nous allions trouver quelque chose qui parlait à notre époque… un message en bouteille à nos auditeurs tout aussi naufragés (imaginaires). Mais une fois que nous avons commencé, c’était tellement amusant de jouer que nous avons oublié les catastrophes à l’extérieur. Au lieu de cela, nous avons « parlé » d’autres moments que nous ne pouvions pas encore voir : comme le jour, 5 mois plus tard, où les gens de Tout Brooklyn dansaient dans les rues pour la joie. » …. “Nous étions si heureux de jouer, d’enregistrer, de faire de la musique à nouveau” … “Dans les temps futurs –s’il y a des temps futurs, quand les gens se retourneront vers l’année que nous venons de vivre, ils n’y croiront pas. Mais cet album en a été à la fois le témoin et notre corde de sauvetage.” Marc Ribot
Le répertoire
Les précautions mises en place, le trio s’est lancé dans l’enregistrement de huit morceaux originaux, quatre du guitariste, trois pièces à créditer aux membres du trio et d’une reprise de Wear Your Love Like Heaven de Donovan.
Si Wanna, le troisième morceau du disque, reflète la joie incalculable qu’a eu le groupe à se retrouver et à jouer, certains titres, comme B Flat Ontology qui ouvre l’album, sont des histoires minimalistes qui traduisent l’ennui, une certaine forme d’inutilité ressentis par le guitariste ces derniers temps. Pour Marc Ribot, « c’est la chanson la plus déprimante jamais écrite. Beaucoup plus déprimant que le Kindertotenlieder de Mahler. Bien, beaucoup plus déprimant. »
A propos de They Met In The Middle sur lequel intervient le saxophoniste alto Darius Jones, Marc Ribot déclare : « Mes racines No Wave ont refait surface… C’est une chanson qui parle de la manière de ne pas aller quelque part. Vous pouvez vous rendre nulle part en restant au même endroit, ou en tournant en rond. Cette chanson parle également de gens qui vont dans des endroits puis en reviennent. Il y a différentes manières d’aller nulle part.” Le titre The Activist est quant à lui plus une satire qu’un reproche. “J’ai écrit ceci après avoir participé au millionième meeting politique qui n’allait nulle part.” déclare Marc Ribot. “Ainsi, dans cette chanson, je me paie ces gens qui prennent réellement du plaisir à balancer ces propos radicaux merdiques, au lieu de mettre vraiment les mains dans le cambouis et de faire ce qu’il y a à faire en urgence.”
Loin de toute catégorisation politique, historique, voire musicale, deux longs instrumentaux, l’antepénultième The Long Goodbye et l’avant-dernier Maple Leaf Rage, offrent 23 minutes de respiration aux commentaires poétiques de Marc Ribot. “Je pense que Marc a une manière très picturale de suivre son intuition, pour savoir si l’on a besoin ou pas d’un moment instrumental après des morceaux plus lyriques ou centrés autour du texte. Il me semble que cela se rapproche d’une intuition subtile, du bon équilibre, de ressentir l’expérience émotionnelle de l’auditeur » témoigne Shahzad Ismaily.
De la dépression à l’espoir
En ouverture B-Flat Ontology sonne comme une chanson bluesy, une sorte de lamentation où la voix dépressive et réverbérée du chanteur guitariste se fait entendre sur un beat reggae avec des accents punk. La déprime n’est pas loin. Sur Nickelodeon, le chant se fait plus alerte sur les battements funk des tambours. La guitare mordante tient un riff reggae et plus loin le toucher du musicien devient plus nerveux. Avec Wanna, la musique du trio se met à gronder et à claquer sur un fond de rock déjanté et furieux qui laisse exploser la joie de jouer du groupe.
La tonalité change avec The Activist. Marc Ribot laisse sourdre un vent de colère à travers des paroles satiriques sur la ligne de basse pulsatile, la batterie hypnotique et en arrière-plan la voix de Syd Straw. Ça sent le soufre !
Au mitan de l’album, la sonorité jazzy et très claire de la guitare sonne avec grâce sur Bertha The Cool où la magie opère comme jamais entre les trois compères. Le jeu tout en attaque de Marc Ribot affirme avec feeling un monde chargé d’espoir.
Le propos musical de They Met In the Middle se fait plus dense et plus sombre. Les interventions free et déchirées du saxophoniste alto Darius Jones répondent en force au parlé-chanter de Marc Ribot qui n’est pas sans évoquer la voix de Tom Waits. Au secours ! On tourne en rond, le désespoir n’est pas loin.
Au début de l’instrumental The Long Goodbye, la musique semble plus sereine et même poétique. La guitare s’exprime d’abord avec tendresse et lyrisme puis devient saturée et plus agressive sur une rythmique rock enragée à laquelle répond l’alto à la sonorité débridée. Musique bipolaire qui balance entre quiétude et déchaînement et se conclut dans l’apaisement. Le trio propose ensuite Maple Leaf Rage, un autre instrumental qui débute dans un climat sonore pictural apaisé avec les violoncelles de Rubin Khodeli et Gyda Valtysdottir qui interviennent et donnent des accents psychédéliques à la musique. Au fil des mesures, guitare et rythmique font monter la tension et après un break, la guitare laisse échapper des fulgurances convulsives sur le tempo que martèlent cordes et batterie. La frénésie s’installe et après un paroxysme, l’incendie déclenché par la guitare en colère s’éteint doucement mais sous les braises résiduelles, sourd encore le chant désespéré des violoncelles qui font écho aux accords désaccordés de la guitare.
Avec Wear your Love like Heaven, la voix de Marc Ribot parle sa joie de refaire de la musique et sur sa guitare un rien saturée, la mélodie sonne avec une tendresse infinie alors que les balais effleurent toms et cymbales avec délicatesse. Tout redevient possible, l’espoir est de mise… on y croit !
Avec Ceramic Dog, le guitariste Marc Ribot se produira en Italie, le 15 juillet 2021 à Brugnera (Pordenone). Il sera en France le 17 juillet 2021 à Sotteville Les Rouen dans le cadre du festival Pacific. En Belgique, le Gent Jazz Festival accueille le trio le 18 juillet 2021. ICI pour connaître l’ensemble des dates du trio.
« Django! »… Baptiste Herbin en trio sans guitare
C’est un véritable défi que réussit le saxophoniste Baptiste Herbin avec « Django! » sur lequel il revisite l’univers de Django Reinhardt, en trio trio saxophone, contrebasse, batterie. Sans guitare, l’album restitue l’essence de la musique du fameux guitariste manouche. Échanges énergiques, fulgurances virtuoses, valses enivrantes, exubérances et silences, tout concourt à faire de cet album absolue une réussite qui allie innovation et tradition.
PianoForte… 40 doigts, 88 touches, 11 titres
Composé de Pierre de Bethmann, Éric Legnini, Baptiste Trotignon et Bojan Z, le groupe « PianoForte » propose son premier album. Au piano et sur les claviers électriques, les quarante doigts des pianistes interprètent onze titres composés par de grands noms du jazz et arrangés avec grand talent par les interprètes. Paru le 11 octobre 2024 chez Artwork/PIAS, l’opus met en évidence la complicité qui réunit ces quatre virtuoses du clavier. Du jazz vibrant et joyeux, fluide et énergique.
« Brighlight », le nouvel album du contrebassiste Avishai Cohen
Virtuose de la contrebasse, Avishai Cohen revient le 25 octobre 2024 avec « Brightlight » un album lumineux et inspiré. Entouré d’un ensemble de jeunes talents parmi les plus brillants de la nouvelle scène du jazz qui étoffent son trio habituel composé au piano de Guy Moskovich et à la batterie de Roni Kaspi. Avec un large éventail de compositions originales, de standards de jazz et d’un morceau vocal, Il repousse les limites du jazz et explore de nouveaux paysages sonores tout en restant ancré dans la tradition qui l’a toujours inspiré. Un album à écouter sans retenue.