Echo#5-Jazz à Vienne 2021

Echo#5-Jazz à Vienne 2021

Vincent Peirani - Avishai Cohen

Avec un double plateau alléchant et des conditions atmosphériques estivales, la soirée du 05 juillet 2021 du festival Jazz à Vienne a comblé le public du Théâtre Antique. Après Vincent Peirani et ses invités, le contrebassiste Avishai Cohen venu en trio a offert une prestation magistrale. Les vibrations musicales ont déclenché les ovations d’une foule enthousiaste qui a apprécié l’engagement et la générosité des musiciens.

Echo#5-Jazz à Vienne 2021 propose un retour sur la soirée du 05 juillet 2021

Carte Blanche à Vincent Peirani

Accompagné de son quintet Living Being, l’accordéoniste Vincent Peirani ouvre la soirée. Avec son « Chamber Rock Orchestra », il propose une ré-interprétation du répertoire de son album « Night Walker » (2018) pour laquelle il a convié un ensemble de quatorze cuivres des élèves de la section classique du Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Lyon dirigés par Thierry Seneau. D’après le leader, la présence de ses deux autres invités, Vincent Segal (violoncelle) et Piers Faccini (chant, guitare) doit contribuer à « apporter un brin de délicatesse ».

Après Angel of Mercy, que chante Piers Faccini accompagné de Vincent Peirani, Vincent Segal et Tony Paeleman, retour au répertoire de l’album Living Being II « Night Walker » avec Émile Parisien (saxophone soprano), Tony Paeleman (fender rhodes), Julien Herné (basse/guitare électrique) et Yoann Serra (batterie) regroupés autour du leader pour interpréter Bang Bang de Sonny Bono.

Le quintet installe ensuite l’alchimie musicale de Unknown Chemistry puis le leader invite les élèves du CRR à rejoindre la scène pour « étoffer » l’orchestre sur Le clown sauveur de la fête foraine. Le soprano lyrique et toujours très expressif d’Émile Parisien installe une atmosphère étrange voire inquiétante sur ce thème de Vincent Peirani. Le set continue avec le retour du chanteur/guitariste, du violoncelliste et l’ensemble des cuivres et les ambiances se diversifient. Par bonheur, un chorus rayonnant de Tony Paeleman et une échappée orientale d’Émile Parisien dominent la dense masse orchestrale.

Déterminé à instaurer des contrastes, le leader rappelle Piers Faccini et Vincent Ségal pour interpréter deux titres du guitariste sur lesquels s’étirent les contrechants du violoncelle et de la voix du chanteur. Le set se poursuit avec des morceaux qui font alterner interventions des cuivres, du violoncelliste et du chanteur/guitariste. Certes, la volonté du leader de varier les climats est réussie mais à vrai dire les solos toujours captivants d’Émile Parisien et les sonorités exacerbées des keyboards sont les bienvenus dans les paysages sonores souvent très (trop) denses.

Après le poétique Black Rose de Piers Faccini sur lequel les notes du clavier sont soutenues par le jeu délicat des balais et le chant nostalgique de l’archet, l’ensemble des musiciens entament Call Song de Purcell dont ils donnent une version qui a l’air de plaire au public. Une dramaturgie musicale tente de s’instaurer sur scène et déclenche sur les gradins une intense émotion qui augmente encore lorsque la plainte céleste du soprano s’élève au-dessus de la masse orchestrale. Standing ovation et rappel véhément. Le quintet revient sur scène pour un « vrai dernier morceau ». Le premier set de la soirée se termine avec la composition de Vincent Peirani Falling, une mélancolique ballade nocturne sur laquelle Piers Faccini a posé des paroles.

La Carte Blanche offerte à Vincent Peirani a permis au public de découvrir ses invités et sa capacité à accueillir et à partager. Il n’en demeure pas moins une relative frustration car, soucieux de mettre en valeur son projet, le leader est peut-être demeuré un peu trop en retrait.

Avishai Cohen, magistral et généreux

Echo#5-Jazz à Vienne 2021_Avishai Cohen Trio_2021.07.5C’est en trio que le contrebassiste Avishai Cohen se présente sur la scène du Théâtre Antique. Avec au piano, son complice de trois ans Elchin Shirinov et à la batterie, la jeune Roni Kaspi, formée par Terri Lyne Carrington au Berklee College of Music de Boston.

Les trois premiers morceaux permettent de s’immerger dans la musique que le trio prépare pour le prochain album du leader…. contrepoint entre piano et contrebasse, solo brillantissime du piano, batterie pointilliste. Fasciné, le public découvre ces nouveaux territoires musicaux avec lesquels il n’est pas encore familier mais dès le quatrième thème, il retrouve ses repères. Lancinants échanges entre piano/contrebasse. Phrasés percussifs de la main droite du pianiste, motifs orientaux de sa main gauche, jeu musclé de la contrebasse déclenchent les vivats de la foule enthousiaste.

Le concert continue et les riffs réitératifs du piano propulsent la contrebasse pulsatile. Le dialogue des deux instruments confine à la communion. Le piano s’éloigne un instant de ses mélopées méditerranéennes pour s’évader vers des contrées bop. Le contrebassiste entretient une relation presque charnelle avec son instrument sur lequel il s’exprime avec puissance et lyrisme. Une grande complicité est perceptible entre Elchin Shirinov et Avishai Cohen. Sous le regard bienveillant et stimulant du leader, le pianiste répond au chant de l’archet par un chorus enfiévré.

Après ces échanges véhéments, changement d’atmosphère avec une ballade à la trame délicate. Contrebasse et piano conversent avec délicatesse, soutenus par la souple pulsation des balais sur cymbales et peaux. Sur le clavier, les notes chantent en réponse à la ligne lyrique de la contrebasse. Nouveau contraste sur le titre suivant dont le propos s’inscrit dans la tradition musicale séfarade. Après avoir exposé le thème à l’archet, Avishai Cohen tire les cordes d’une main alors qu’il percute la caisse de son instrument. Son chorus tellurique stimule Elchin Shirinov dont le chorus dévale comme un torrent indomptable mais, maître de son clavier il canalise son énergie après avoir déclenché des tonnerres d’applaudissements.

Avishai Cohen pose sa contrebasse mais revient très vite sous les rappels. Seul sur scène, il propose alors au public quelque chose de « very special »… un blues… une complainte incantatoire qu’il élève à l’archet et à la voix… au final, on reconnait Sometimes I Feel Like a Motherless Child. Moment d’intense émotion. Il enchaîne alors avec Alfonsina Y El Mar, ce thème qu’il affectionne et a déjà offert au public de Vienne lors de ses précédentes venues. Sa voix chaude croise les notes graves des cordes. Il termine en chantonnant avec légèreté puis enchaine en trio avec un morceau qui met en valeur un chorus vigoureux et véloce que Roni Kaspi articule avec force sous le regard bienveillant d’Avishai Cohen. Après une dernière fausse sortie, le contrebassiste revient pour un dernier morceau sur lequel, poussée par un riff nerveux du pianiste, la batteuse fait gronder son instrument.

Avec Avishai Cohen, le Théâtre Antique de Vienne a chaviré. Une fois de plus, le musicien a offert au public de Jazz à Vienne un concert inoubliable où ont coexisté lyrisme, puissance, émotion, humour, générosité.

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