« Think Bach Op.2 », Édouard Ferlet renoue avec Bach

Ferlet re-pense Bach

Après « Think Bach » paru il y a cinq ans, Édouard Ferlet renoue avec Bach sur « Think Bach Op.2 ». Une récidive de bon aloi où Ferlet, en piano solo, compose et improvise autour des œuvres de Jean-Sébastien Bach. Entre hommage introspectif et conversation passionnée.

La musique de Jean-Sébastien Bach constitue un réservoir infini d’inspiration pour le pianiste Édouard Ferlet qui entretient une relation suivie et plus qu’intime avec sa musique. En effet, après « Think Bach » paru en 2011 puis « Bach Plucked Unplucked » enregistré en 2015 avec la claveciniste Violaine Cochard, le pianiste de jazz récidive et renoue avec Bach. Il continue son exploration des partitions de Bach sur « Think Bach Op.2 » (Mélisse/Outhere) sorti le 28 avril 2017. Sur l’album, neuf compositions du pianiste et une interprétation du largo du Concerto pour clavecin n°5 en Fa mineur BWV 1056.

La première écoute de l’album suscite d’abord un moment d’incrédulité, « …comment, il approche de nouveau la musique de Bach ! » mais sitôt après survient l’étonnement, « surprenant, il est vraiment parvenu à renouveler son propos » et enfin, avec l’immersion totale, advient le plaisir inconditionnel que procure cet opus absolument addictif.

Avec « Think Bach Op.2 », Édouard Ferlet, déjà imprégné de l’œuvre de Bach, pénètre encore plus avant au cœur de l’écriture du Maître de Chapelle. Il se glisse dans la trame des partitions qu’il explore comme un chercheur en quête de compréhension. Pour cet album le pianiste dissèque les lignes musicales, pose, dépose et repose autrement les notes, dérange et change les rythmes, bouscule la structure de la musique de Bach. On se demande s’il s’agit d’une communion ou d’un jeu espiègle entre Ferlet et l’âme de la musique de Bach. Peut-être les deux à la fois d’aileurs.

La lettre introductive que le pianiste adresse à J.S. Bach dans le livret dit beaucoup de son rapport avec le compositeur baroque. Il le tutoie, c’est dire sa familiarité avec lui. A travers les termes de la missive on perçoit  la relation passionnée voire même physique entretenue avec la musique de celui qu’il admire. « … je te joue et joue avec toi. Mes doigts en folie courent et s’essoufflent dans l’ivresse et la rigueur de tes lignes, mes muscles se figent et se relâchent pour exprimer ma rage et ma passion ». Si Édouard Ferlet fait état de ses « anciennes blessures » ce n’est point pour s’en plaindre mais pour les évoquer comme un point de départ de sa renaissance.

Sur « Think Bach Op.2 », Édouard Ferlet communie avec la musique de Bach, ausculte sa respiration profonde et entre en relation intime avec les partitions dont il s’abreuve. Il communique avec le compositeur dont il explore l’écriture. Il la comprend et déjoue les difficultés. Il joue à déplacer les phrases, à modifier les intervalles, à décaler les rythmes et les cadences, à bousculer les lignes de construction. On ne parle pas de transgression mais plutôt d’une exploration de la substance musicale. Cette recherche en quête de compréhension nourrit son inspiration. En effet de cette démarche naît une nouvelle musique comme une filiation innovante et respectueuse.

A partir de techniques compositionnelles variées évoquées dans le livret, le pianiste apporte des touches contemporaines et se réapproprie la musique de Bach. Ferlet se projette dans le monde de Bach. Il pénètre dans le rythme, le son, la charpente de la musique et les accueille dans l’univers du jazz. Il explore même les mélodies comme sur les quatre minutes de la seule piste de l’album qu’il n’a pas composée. C’est en effet uniquement la mélodie qu’il restitue du largo du Concerto pour clavecin n°5 en fa mineur BWV 1056.  Moment surprenant et émouvant.

Crazy B est sans doute la pièce où l’on perçoit le plus la manière dont le pianiste compose un morceau à partir d’une phrase citée puis cernée contournée, reprise autrement, remise sur le métier, travaillée encore et encore, transformée jusqu’à devenir un leitmotiv rythmique étourdissant où une mélodie trouve place. Le pianiste propose ainsi à l’auditeur « plusieurs sas de décompression » comme des paliers qui familiarisent l’oreille à l’évolution progressive de la phrase originale.

Encore une fois Édouard Ferlet inscrit Bach dans l’espace de sa propre musique et lui ouvre la porte du jazz via ses compositions et ses improvisations. On est  touché par la sensibilité qui se dégage de Miss Magdalena (inspiré du prélude en ut majeur BWV 846) où le pianiste siffle à l’unisson un thème écrit dans la tessiture de son sifflet.

On se laisse emporter par la rythmique et les oasis mélodiques dépaysants de Es ist Vollbracht fort distancié de l’air de la Passion selon saint Jean BWV 245. On écoute Oves, pièce façonnée « autour de l’intervalle de seconde et de l’ostinato rythmique empruntés au Prélude en sol dièse majeur BWV 884 ». Édouard Ferlet la présente comme une « ouverture… généreuse, qui a le sourire solaire, comme la musique de Bach »

 

Édouard Ferlet sera en concert pour la sortie de son album au Café de la Danse à Paris le samedi 13 mai 2017 à 20h. Avec en invités Naïssam Jalal et Sonny Troupé.
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