Au-delà du jazz… l’art du trio en toute liberté
« Princess », un chant à trois voix. Le projet collectif de trois musiciens, Stephan Oliva, Susanne Abbuehl et Øyvind Hegg-Lunde. Un souffle vocal irradié de grâce, un piano intimiste, une percussion en suspension pour un hommage à Jimmy Giuffre. La musique poétique, aérienne et éthérée d’un trio princier.
Sorti le 31 mars 2017, l’album « Princess » (Vision Fugitive/L’Autre Distribution) propose un moment hors du temps pour oublier les musiques formatées, les étalages techniques et les excès de sensibleries outrancières. Des broderies musicales projetées en clair-obscur sur un voile crépusculaire.
« Princess ». Comme un souffle d’air, la voix irréelle de Susanne Abbuehl flotte en apesanteur sur les accords magiques du piano de Stephan Oliva et les subtils accents de la batterie de Øyvind Hegg-Lunde. A travers leurs interventions délicates et nuancées les musiciens libèrent la voix du silence.
« … le clarinettiste Jimmy Giuffre fut un de ces hommes de l’ombre qui …. a chamboulé en profondeur la nature même des musiques improvisées. … en se passant de batterie dans son trio historique » … « Il a ouvert la voie à une toute nouvelle syntaxe jazzistique » - Gilles Tordjman
En se passant de basse, le trio Oliva/Abbuehl/Hegg-Lunde pratique aussi une musique allégée des contraintes rythmiques et harmoniques. La liberté advient et tout devient possible en termes d’expansion pour les instrumentistes. La voix pure de la chanteuse égrène les paroles des poèmes sur le tapis de velours que déroulent les accords harmonieux du pianiste. Abreuvées des harmonies subtiles libérées par le piano, les paroles respirent et sont portées par l’accompagnement minimaliste et sensible des percussions.
Libérée des dominations rythmique, mélodique et harmonique, la musique vit telle qu’en elle-même, réduite à l’essentiel de sa nature. Sur cet album on ne peut parler d’instrumentistes qui accompagneraient une chanteuse. Il s’agit d’un compagnonnage musical qui libère de manière équitable l’expression de chacun des interprètes et favorise les interactions. Complices, les trois musiciens proposent onze titres et sculptent une musique immatérielle, fragile, sensible et profonde comme une source de sérénité.
Suzanne Abbuehl a écrit des paroles sur quatre compositions de Jimmy Giuffre dont Princess qui donne son titre à l’album, sur Great Bird de Keith Jarrett et sur deux compositions originales de Stefan Oliva. Au milieu du répertoire, vibre Desireless/Mopti de Don Cherry avec une trame rythmique plus variée que sur les autres titres.
Sur Trance de Jimmy Giuffre le duo piano-percussion/batterie explore et tente d’exprimer l’indicible. En 1’45 d’introspection profonde, Stephan Oliva interprète seul le thème Jimmy qu’il a composé en hommage au clarinettiste.
On se loue que le trio ait eu la magnifique idée d’enregistrer What a Wonderful World de Bob Thiele et George David Weiss. Les trois interprètes sensibles et inspirés en donnent version inoubliable, aussi légère que l’hélium et transparente comme le cristal.
Susanne Abbuehl assume l’héritage historique de Jeanne Lee avec laquelle elle a étudié. On observe en outre que Jeanne Lee se produisait souvent en duo avec Ran Blake, pianiste que Stephan Oliva apprécie lui aussi. On note avec intérêt la liberté que le label ECM a octroyée à la chanteuse qui a déjà gravé trois albums sous le label allemand avec lequel elle collabore (« April » en 2001 en quartet sans contrebasse, « Compass » en 2006 en quintet sans contrebasse, « The gift » en quartet sans contrebasse » en 2013).
La pureté et la sensibilité de la musique de l’album « Princess » tient pour beaucoup aux talents des trois interprètes mais il convient de saluer encore une fois les Studios La Buissonne de Pernes les Fontaines où l’album a été enregistré au printemps 2016 par Gérard De Haro et masterisé en été 2016 par Nicolas Bailard. On se loue aussi de la qualité de l’objet « album » avec un visuel et un livret de 40 pages illustré par Emmanuel Guibert.
Pour écouter le trio Stephan Oliva / Susanne Abbuehl / Øyvind Hegg-Lunde et savourer le répertoire de « Princess » en concert, deux options se profilent. Le jeudi 11 mai au Festival Jazz in Arles à 20h30 la Chapelle Saint-Martin du Méjan ou le vendredi 12 mai à Paris au Duc des Lombards, soit à 19h30, soit à 21h30.
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