Électricité et mélodies font bon ménage
Avec « Zeitgeist » Laurent Cugny livre sa définition du jazz : un langage musical universel qui traverse les époques et transcende les mélodies. Le pianiste dirige ici la fine fleur des musiciens hexagonaux réunis dans un tentet où chaque instrumentiste s’exprime avec une grande liberté. Électricité et mélodie font bon ménage. Un album jubilatoire.
Maître avéré et reconnu de la direction de grands ensemble, Laurent Cugny a réuni en 2022 un all-star de musiciens de jazz français pour jouer un répertoire inédit enregistré sur l’album « Zeitgeist » (Label Frémeaux & Associés) dont la sortie est annoncée pour le 14 avril 2023.
Le tentet à l’instrumentation quelque peu inhabituelle compte trois claviers électriques, deux batteries, une guitare, une contrebasse, une trompette, un saxophone soprano et une clarinette basse. Dans la plus pure tradition du jazz, une grande part est laissée à l’improvisation et à l’initiative des musiciens.
Ancré dans la grande tradition du jazz et du blues, « Zeitgeist » groove de bout en bout. Timbres et couleurs harmoniques s’unissent, se télescopent et explosent. Une musique singulière qui développe une vision universelle du jazz. Un régal absolu… dans l’esprit du temps, de notre temps.
Laurent Cugny
Pianiste et claviériste, arrangeur, chef d’orchestre, auteur, professeur… la longue carrière de Laurent Cugny est prestigieuse et difficile à résumer.
Celui qui a joué et enregistré avec Gil Evans (1987), a dirigé le Big Band Lumière pendant 20 ans de 1980 à 2000 et le Gil Evans Paris Workshop de 2014 à 2018, a aussi été directeur de l’Orchestre National de Jazz (ONJ) de1994 à 1997.
Il a écrit un opéra-jazz, « La Tectonique des nuages », à partir d’une pièce de José Rivera sur une mise en scène de François Rancillac. L’œuvre a été créée en version concert en 2006 et reprise au théâtre de la Ville (Paris) en 2007.
Il a aussi écrit des ouvrages parmi lesquels on peut citer sans être exhaustif, « Las Vegas Tango - Une vie de Gil Evans » (1989), « Électrique - Miles Davis 1968-1975 » (1993), « Histoire du jazz en France – Tome 1 : du milieu du XIXème siècle à 1929 » (2014), « Hugues Panassié – Le Jazz Hot et la réception de l’œuvre panassiéenne » (2017) », »Recentrer la musique – Tome 1 : audiotactilité et ontologie de l’œuvre musicale » (2021). « Recentrer la musique - Tome 2 : New Musicology et Heméneutique, peur de la musique, analyse » est annoncé pour 2023.
On peut aussi noter en 2022 chez Frémeaux & Associés, la sortie de « Histoire du jazz - Une musique pour les XXe et XXIe siècles », 4 CD qui retracent l’histoire du jazz né il y a 120 ans et qui n’a cessé d’évoluer dans toutes ses dimensions, musicales, sociales, culturelles, politiques, économiques. 4 CD comme un cours particulier de Laurent Cugny : « Méthodologie et Origines », « L’intrigue Linéaire principale (1917-1976) », « L’Ère Postmoderne (après 1976) » et « Le Jazz Vocal », 4h45 d’écoute pour découvrir l’histoire globale du jazz, de l’esclavage au label ECM.
Après une thèse de doctorat consacrée à l’analyse de l’œuvre de jazz publiée en 2009 sous le titre « Analyser le jazz » aux éditions Outre Mesure, Laurent Cugny a exercé diverses activités d’enseignement, de pratique collective et de recherche et publié de nombreux articles. Il a été nommé professeur de musicologie en 2006 à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV).
Il a par ailleurs signé de nombreux arrangements pour Lucky Peterson, Abbey Lincoln, David Linx, Juliette Gréco, Ricardo Teté, Viktor Lazlo, et pour bien d’autres encore.
En janvier 2023, Laurent Cugny prend les rênes de l’Orchestre des Jeunes de l’ONJ pour sa quatrième saison. Il a pour l’orchestre de sérieuses ambitions : « Sur le plan musical, ce qui m’intéresse est de voir comment des instrumentistes qui n’étaient pas nés au moment de la création de cette musique vont pouvoir s’en emparer, avec leur formation et leur culture musicale, nécessairement différente. J’essaierai de leur laisser la marge de liberté nécessaire pour qu’elles et ils soient en mesure de livrer une version nouvelle de cette musique. »
Enfin en 2023, il va tourner sur les scènes françaises avec le « Laurent Cugny Tentet » pour présenter sur scène le répertoire de son nouveau projet « Zeitgeist ».
« Zeitgeist »
Outre les 10 photos en noir et blanc des musiciens du tentet, le livret définit la musique et l’esprit de » Zeitgeist » en 28 mots et quelques ponctuations. Un propos synthétique et fort juste qui cerne l’essence même de la musique de cet album enregistré en septembre 2022 au Studio Midilive de Villetaneuse par Ludovic lanen qui en a aussi assuré le mixage.
« Zeitgeist
L’esprit du temps. Signes du temps.
De Louis Armstrong et des états d’âme indigo ?
Du swinging London, de Woodstock et Mister Foster
De notre temps ? »
Sur « Zeitgeist » on découvre avec bonheur l’essentiel de Laurent Cugny, son sens de la mélodie, sa vision intellectuelle de l’histoire du jazz et son goût du partage avec les musiciens qu’il a réunis autour de lui pour enregistrer les neuf pistes de l’album.
Le tentet réunit quelques-uns des musiciens les plus en vue dans le paysage actuel du jazz français. Autour de Laurent Cugny (piano électrique, Fender Rhodes) on retrouve Pierre de Bethmann (piano électrique Fender Rhodes), Laurent Coulondre (orgue Hammond B3), Manu Codjia (guitare), Quentin Ghomari (trompette), Martin Guerpin (saxophone soprano), Stéphane Guillaume (clarinette basse), Jérôme Regard (contrebasse), Clément Daldosso (contrebasse), Stéphane Huchard (batterie), Antoine Paganotti (batterie), Élie Martin-Charrière (batterie). On note que Stéphane Huchard et Stéphane Guillaume faisaient partie de l’ONJ que dirigea Laurent Cugny de 1994 à 1997.
Dans « Zeitgeist », dissonance et harmonie coexistent avec bonheur. Les textures acoustiques s’allient à l’énergie des instruments électrifiés. Les formules rythmiques alimentent le tissu collectif d’où se détachent les interventions inspirées des solistes. Tout concourt à faire de cet album un opus aux atmosphères « bleutées », raffinées, exaltantes et jubilatoires.
Au fil des pistes
C’est Liviore, une composition de Laurent Cugny qui ouvre l’album. Elle place au premier plan le saxophone soprano. Au gré d’une atmosphère évanescente et stratosphérique installée par les Fender Rhodes, la guitare et la section rythmique, le soprano élève des arabesques circulaires et s’envole. C’est ensuite la trompette à la sonorité embrumée dans les graves mais incisive dans les aigus qui génère un environnement trépidant avant de céder la parole à la clarinette basse dont les sons éclatants transportent la musique dans une sorte de jungle urbaine.
A partir de la version de Woodstock écrite en 1969 par Joni Mitchell, le tentet de Laurent Cugny invite à un voyage musical spirituel. Jouée par la trompette au timbre mélancolique puis par la guitare, l’orgue et les Fender Rhodes, la mélodie résonne comme un hymne éphémère.
Changement de dynamique et de climat avec Boogie Woogie Waltz écrit par Josef Zawinul en 1973 pour l’album « Sweetnighter ». La reprise proposée par le tentet met en orbite l’improvisation virtuose de la clarinette basse et le dialogue percussif de Stéphane Huchard et Antoine Paganotti. L’oreille est saisie par le chorus ébouriffant du Fender Rhodes soutenu par l’orchestre sur un jazz fusion bigrement funky et évocateur de la musique des années 70. Le répertoire se poursuit avec une version singulière de L’air que l’on respire, titre de Michel Jonasz sorti en 1996. Le tentet développe le morceau comme une ritournelle soul et mélancolique jouée sur un tempo de reggae électro-futuriste.
Avec Pyramidal Vision, Laurent Cugny rend hommage au pianiste, organiste et chanteur Delmar Brown disparu le 01 avril 2017 à New York. Il a été musicien régulier du big band de Gil Evans. Les arrangements de Laurent Cugny octroient une dimension apaisée à la composition qui groove pourtant avec allégresse au fil des chorus des deux Fender Rhodes.
On craque littéralement pour la version délicieuse et malicieuse du titre I want you des Beatles sortie en 1969 sur l’album « Abbey Road ». On est esbroufé par l’improvisation exaltante et inspirée de la guitare déchaînée et frénétique de Manu Codja. Du rock blues jazzy à se damner !
Composée par Laurent Cugny, Salamero laisse une grande part à l’improvisation jubilatoire de la guitare, met en valeur le soprano voltigeur et l’orgue Hammond enflammé de Laurent Coulondre et se termine avec le dialogue polyrythmique effréné de Stéphane Huchard et Élie Martin-Charrière.
La reprise de Mr Foster, composition de Miles Davis qui rend hommage au grand batteur, met en lumière les arabesques musicales de la clarinette basse de Stéphane Guillaume soutenue par le tempo rythmique indéfectible de la rythmique.
L’album se termine avec une délicieuse version de Mood Indigo, à partir des arrangements de 1931 de ce grand standard écrit par Edward « Duke » Ellington. En sourdine, la trompette tisse un phrasé mélancolique, la clarinette basse ronfle tel un trombone, le Fender Rhodes égrène des grappes de notes rayonnantes, la contrebasse de Clément Daldosso chuchote son chant boisé, la guitare s’envole avec lyrisme alors que l’orchestration transcende la mélodie. Un réel enchantement !
Pour écouter live la musique de « Zeitgeis » et retrouver sur scène le Laurent Cugny Tentet avec Pierre de Bethmann (piano électrique Fender Rhodes), Laurent Coulondre (orgue Hammond B3), Manu Codjia (guitare), Jérôme Regard (contrebasse), Stéphane Huchard (batterie), Antoine Paganotti (batterie), Sylvain Gontard (trompette), Martin Guerpin (saxophone soprano) et Stéphane Guillaume (clarinette basse), rendez-vous pour la soirée de clôture du festival « Jazz à Saint-Germain des Près », le 17 Mai 2023 à 20h30 à l’Amphithéâtre Jussieu Sorbonne Université, le 04 août 2023 au La Londe Jazz Festival (83) et à 19h le 16 décembre 2023 à Paris, au studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique.
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