Chucho Valdes Jazz revient avec « Jazz Batá 2 »

Chucho Valdes Jazz revient avec « Jazz Batá 2 »

Incantation rythmique et spirituelle

Avec l’album « Jazz Batá 2 », le pianiste Chucho Valdès plonge dans ses racines cubaines. Il élève une incantation fervente en hommage aux orishas de la santeria cubaine. Harmonies et mélodies servent le rythme et la dimension percussive du piano est mise en avant.

Le pianiste cubain Chucho Valdes

Chucho Valdès © Carol Friedman

Sorti le 16 novembre 2018, l’album « Jazz Batá 2 » (Mack Avenue/PIAS) revisite « Jazz Batá » enregistré en 1972 par le pianiste Chucho Valdès.

L’album marque aussi le centenaire du grand pianiste Ramón »Bebo » Valdès (1918-1913), père et professeur de Chucho Valdés âgé aujourd’hui de 77 ans. Au-delà de la date de leur naissance, le 09 octobre, qui relie ces deux pianistes figures tutélaires de la musique cubaine venus au monde pour le premier en 1918 et pour le second en 1941, il existe entre une filiation musicale que le nouvel album confirme.

Filiation… de « Batanga » à « Jazz Batá 2 »

En 1952, Bebo Valdès avait tenté avec « Batanga » d’associer les tambours batá avec son groupe de jazz ce qui avait inspiré son fils Chucho Valdès  pour enregistrer en 1972 l’album « Jazz Batá » avec Carlos del Puerto  à la basse et Oscar Valdés aux congas. C’est d’ailleurs avec eux qu’il a ensuite fondé le groupe Irakere en 1973.

Sur « Jazz Batá » les rythmes du jazz afro-cubain sont associés aux tambours batá, originaires du Nigéria. Sacrés, ces tambours en forme de sablier sont utilisés dans les cérémonies de la santeria,  la religion Yoruba pratiquée à Cuba. Ce projet musical enregistré en trio sans batterie a incarné à l’époque une musique d’une grande modernité.

En 2018, soit 46 ans plus tard, Chucho Valdès poursuit la filiation et opère un retour sur « Jazz Batá » mais l’écriture diffère ainsi que la formation. Autour du piano du leader, un tambour batá, des percussions et une contrebasse rejoints par un violon sur deux titres un violon pour ce que l’on peut considérer comme une suite, … l’album « Jazz Batá 2 ».

« Jazz Batá 2 »

Sur son nouvel album, le pianiste Chucho Valdès s’est entouré de trois musiciens originaires de la région de Guantánamo et imprégnés de culture musicale cubaine. Le contrebassiste Yelsy Heredia et deux percussionnistes, Yaroldy Abreu Robles avec qui le leader joue depuis vingt ans et le joueur de tambour batá Dreiser Durruthy Bombalé qui pose sa voix si singulière sur la musique.couverture de l'album Jazz Bata 2 du pianiste Chucho Valdes

Sur deux titres, Ochún  et 100 Años de Bebo, une invitéz spéciale les rejoint, la violoniste américaine Regina Carter.

Percussif et lyrique à la fois, « Jazz Batá 2 » captive par la force des rythmes qu’épousent les mélodies inscrites au cœur des superbes harmonies que développent piano et contrebasse. Chucho Valdès parle ainsi se son jeu : “J’ai appliqué à mes solos les différents rythmes du batá. Le piano est bien sûr un instrument harmonique mais il est aussi percussif, et l’on peut jouer des percussions dessus.”.

Ainsi ce ne sont pas deux mais trois percussionnistes qui croisent leurs rythmes sur les huit pistes de l’album enregistré en deux jours et demi dans le New Jersey dans le studio de John Lee. Le résultat est envoûtant. D’une modernité absolue la musique de « Jazz Batá 2 » convainc par la force de ses climats polyrythmiques et le lyrisme fervent de Chucho Valdès.

 Au fil des pistes

L’album ouvre avec Obatala, une mini-suite de presque 13 minutes offert à l’orisha Obatala, dieu de la sagesse et de la justice de la santeria, nom de la religion Yoruba cubaine. Un morceau lumineux qui résonne comme une incantation. Après un solo de piano ciselé sur un rythme liturgique tenu par les trois rythmiciens advient un chorus de contrebasse empreint de spiritualité. Il est suivi d’une intervention virtuose et percussive du piano et se termine par un chant collectif d’imploration.

Après une introduction du trio dans un style évocateur des ambiances free, Son XXL se métamorphose peu à peu. Il devient un son cubain enivrant que le phrasé volubile et effervescent du piano développe dans les grandes largeurs, soutenu par une contrebasse omniprésente. Le piano fluide et inspiré enflamme ensuite Luces, une ballade romantique jouée sur un rythme de boléro qu’accompagnent les polyrythmies des congas et du tambour batá.

Ochun offre un hommage à l’orisha Ochún. Après une courte introduction du piano aux accents gospel, le violon expose la mélodie sur un rythme de merengue suivi d’un solo radieux du  piano et d’un chorus bluesy du violon. L’instrument de Regina Carter incarne la beauté féminine de la déesse qu’honore ce titre.

Sur Chucho’s Mood, le piano de Chucho Valdès fait un clin d’oeil à Duke Ellington, plaque  des accords dissonants et s’évade sur un son cubain dont il a le secret. Il invite ensuite ses compagnons à le rejoindre dans une descarga dont il tire les ficelles avec aisance. Cette jam session cubaine part d’un riff à partir duquel les musiciens improvisent successivement sur leur instrument. Un tourbillon captivant auquel il est impossible de résister !

Pour le centenaire de Bebo Valdès, résonne 100 Años de Bebo. À un air que jouait le père au piano à la maison, le fils a ajouté une introduction et posé un tumbao à la fin. C’est  le violon de Regina Carter qui interprète avec aisance la belle mélodie sur un tempo de danzón-mambo. Une forte émotion imprègne ce titre.

El Güije rend hommage au güije, créature mythique cubaine qui vit dans la rivière. Une mélodie que Valdès désigne comme un bembé basé sur le rythme créé par le tambour batá qui annonce et termine ce titre avec un chant sacré dont on devine les origines africaines. L’album se termine avec The Clown, un solo de piano impressionniste de Chucho Valdès. Un thème et des variations qui rendent hommage aux influences classiques du pianiste et plus précisément à Maurice Ravel. Le piano joue batá et mêle harmonies, dissonances, mélodies et rythmes complexes.

De bout en bout  de ses huit plages, « Jazz Batá 2 » emporte et captive. Des polyrythmies flamboyantes s’élèvent des mélodies joyeuses ou nostalgiques nichées au cœur de climats harmoniques très riches. La tradition ancestrale des rythmes afro-cubains batá se fond dans la modernité du jazz cubain que Chucho Valdès incarne aujourd’hui plus que jamais. A 77 ans le pianiste inspiré renouvelle encore son inspiration et livre un album fascinant.

 

Pour écouter live en France la musique de « Jazz Batá 2 », il faut attendre 2019…
RV avec Chucho Valdés (piano), Yaroldy Abreu Robles (percussions, voix), Dreiser Durruthy Bombalé (voix, batá) et Yelsy Heredia (contrebasse), le 05 mai 2019 à 16h30 à La Philarmonie de Paris ou le 18 mai 2019 à 20h au Grand Théâtre d’Aix en Provence. En attendant, on écoute l’album !
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