Un jazz libre et enivrant
Dans son nouvel opus, « Adjusting », annoncé pour le 28 janvier 2022, le batteur Arnaud Dolmen propose une musique complexe et incisive ancrée dans les rythmiques caribéennes et plus spécifiquement le gwoka guadeloupéen. En quartet avec ou sans piano, la batterie et la contrebasse complices croisent les notes avec trois saxophones ténors et des invités de choix. Un jazz libre et enivrant.
Après « Tonbé Lévé » sorti en 2017, Arnaud Dolmen présente son deuxième album de jazz « Adjusting » (Gaya Music Production/L’autre Distribution). Avec une grande maturité, le batteur y développe sa propre vision rythmique et confirme ses qualités de compositeur et d’arrangeur. Ancrée dans la culture traditionnelle guadeloupéenne du gwoka et nourrie d’apports musicaux diversifiés, son esthétique musicale s’inscrit dans le courant d’un jazz contemporain très libre.
Les douze titres de l’album témoignent du regard que le musicien porte sur la société… la nécessité de s’adapter et de se centrer sur l’essentiel pour s’ajuster à la réalité. A travers ses cris et ses murmures, sa musique riche en nuances restitue les questions que le musicien se pose sur la vie et porte ses espoirs.
« C’est l’observation, que je fais entre les écarts de la société, les écarts de comportements selon des codes… Et si nous revenions à notre centre, à ce qui est cosmiquement réel, perceptible sans effort ?! Moins d’avoir et plus d’être. En s’écoutant et se respectant, l’ajustement est possible pour aller de l’avant. Ensemble ?! » Arnaud Dolmen
« Adjusting »
Autour d’Arnaud Dolmen sont réunis le pianiste Léonardo Montana, déjà présent sur « Tonbé Lévé », le contrebassiste Samuel F’HIMA et les saxophonistes ténor Francesco Geminiani (sur dix titres), Ricardo Izquierdo (sur cinq titres) et Antonio Sanchèz (sur un titre). Le leader a aussi invité l’accordéoniste Vincent Peirani, la flûtiste Naïssam Jalal et la chanteuse haïtienne Moonlight Benjamin.
Avec neuf titres enregistrés en quartet avec ou sans piano, un morceau en quintet, un autre en sextet et un superbe duo, l’album « Adjusting » propose un répertoire où la batterie interagit très librement avec tous les solistes, sans se cantonner au seul rôle de rythmicien-accompagnateur autrefois dévolu à cet instrument.
Puissance de frappe, syncopes et polyrythmie dotent la musique d’Arnaud Dolmen d’une dimension incisive indéniable. Très impliquée rythmiquement, la contrebasse impulse les fondamentaux des accords. Par leurs vibrations, saxophones, flûte, piano, voix et accordéon chuchotent ou crient, apaisent ou stimulent. Riche d’échanges de chaque instant, la musique enchante par sa vivacité et surprend par ses couleurs sans cesse renouvelées.
Au fil des plages
Sur The Gap, le titre d’ouverture, la batterie constitue le socle rythmique et, en l’absence du piano, fait le lien avec les saxophones. Tout en contretemps, les puissantes vibrations des ténors flamboyants dialoguent avec les tambours et s’ajustent avec souplesse. Pris sur un tempo très vif, le très swinguant SQN (Sine Qua non) met en valeur la puissance de frappe et le jeu polyrythmique très libre du batteur qui stimule les interventions de l’accordéon, du saxophone et du piano.
Avec Cavernet, le climat sonore s’aère. Introduit et littéralement chanté par la contrebasse, le morceau valorise le dialogue des ténors véhéments soutenus par une batterie exubérante et énergique. Aux côtés des deux ténors et du piano, la voix puissante et sensuelle de la chanteuse contribue à doter le très percussif Ajistèman d’un climat envoutant. Alors que la contrebasse déroule une ligne mélodique délicate, les volutes en suspension et les plaintes élégiaques des saxophones installent une atmosphère spirituelle Sur Ti Moun Gaya.
Sur un riff du piano repris à l’envi et avec le soutien rythmique de la batterie, le saxophone expose le thème de For Real puis s’installe un climat étrange gorgé de soubresauts. Stimulés par la contrebasse, piano et ténor se lancent ensuite dans des improvisations aux envolées fulminantes. Plus loin, par son jeu très maîtrisé et puissant dans les aigus et ses envolées lyriques inspirée, la flûte confère à Résonance un climat de plénitude quasi mystique.
En ouverture du très inspiré Hey Cousin, les lignes musicales du ténor dessinent un climat très moderne avant que piano et contrebasse ne dialoguent avec véhémence. Syncopes et contretemps se tirent la bourre sur la polyrythmie qu’impulse la batterie.
Les harmonies apaisantes du piano et la chaleureuse sonorité du ténor développent un climat serein sur la superbe ballade Ka Sa Té Ké Bay (« qu’est-ce que ça aurait donné »), jouée comme en suspension dans l’espace. Sans transition, le climat change avec Graj ou Toumblak. A partir d’un motif percussif mené par la contrebasse et le batteur, ténor et piano déploient une ligne musicale qui devient obsessionnelle. De sa verve lyrique, le ténor forge ensuite un solo dont les phrases sinueuses interpellent le piano qui ne demeure pas en reste et lui répond avec fougue et éloquence.
Drôle de moment surprend et séduit par le solo riche et coloré de la batterie et les improvisations interactives des ténors dont les phrasés nerveux provoquent des éboulements de notes. Le répertoire se conclut avec Les oublié.e.s qui permet de découvrir sur un rythme de calypso; le bouladjel, une expression musicale traditionnelle unique à la Guadeloupe qui fait partie du système gwoka avec la superposition polyrythmique de vocalisations percussives (bruits de gorge, onomatopées et halètements) au-dessus du chant du ténor.
« Adjusting », à découvrir et à écouter en boucle !

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